Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les Genoux de la Castafiore

6 mai 2012

La bande dessinée dans les programmes scolaires

  Il ne faut pas confondre littérature et étude de la langue: si l'étude de la langue consiste, à partir d'exemples concrets, d'exercices, de textes, et parfois de bandes dessinées, supports ludiques par excellence, à travailler les compétences de grammaire, de conjugaison, d'orthographe, de vocabulaire ou de rédaction, les oeuvres littéraires ne doivent pas être réduites au simple rang d'outils. Si on se fie au document d'accompagnement Une culture littéraire à l'école, ressources pour le cycle 3, de mars 2008, il est crucial de donner à l'enfant au cours de sa scolarité, sans surestimer ses capacités de lecteur, une culture commune, un socle littéraire commun, un réseau d'oeuvres indispensable à la bonne compréhension des cours de littérature ultérieurs, au collège comme au lycée, et, pourquoi pas, dans le cadre d'études supérieures. Cela lui permet par la suite de discuter avec ses camarades d'oeuvres déjà appréhendées, et d'échanger des opinions à leur sujet. En effet, ces séances de littératures à l'école primaire, vues comme des espaces de débat, d'échanges, permettent à l'élève, outre cette constitution d'un patrimoine culturel, d'aiguiser son esprit critique, de débattre avec ses pairs, tout en intégrant des notions littéraires simples, encore balbutiantes, mais qui lui seront utiles par la suite, comme le schéma narratif, par exemple. L'enseignant doit aborder avec précautions ces séances, en veillant à la compréhension de tous, en insistant particulièrement sur les passages les plus complexes, à l'intention des lecteurs les plus faibles, notamment. A cet égard, un travail sur la bande dessinée, média dans lequel la lecture de l'image revêt une importance capitale, voire parfois prépondérante, peut être salutaire pour les élèves ordinairement en retrait, handicapés par une maitrise de la lecture sommaire. Accoutumés à la lecture d'image depuis la maternelle, ceux ci peuvent aisément participer à la séance de lecture, en oubliant leurs complexes. Ils développent ainsi leurs propres compétences littéraire et leurs sens de la critique.

 

  Si on s'en tient à ce raisonnement, la présence de listes de références d'ouvrages recommandés par le Ministère de l'Education Nationale, prend tout son sens. Bien sûr, tous les ouvrages, même de jeunesse, ne sont pas forcément appropriés à une lecture en classe, ce qui reste relativement subjectif. Ces listes permettent d'opérer des choix sans crainte de se tromper. Par ailleurs, les enseignants de l'école primaire, venant d'horizons différents, ne sont pas nécessairement tous des spécialistes de la littérature de jeunesse. L'exemple de la bande dessinée, média encore jeune pour lequel la formation est quasiment inexistante, est à cet égard parlant. La mise à disposition de ces listes permet là encore aux enseignants de choisir des oeuvres adaptées. Mais la véritable vocation de ces listes est de permettre aux enfants d'acquérir ce patrimoine littéraire commun, grâce auquel ils pourront par la suite mettre en réseau les oeuvres abordées durant leur scolarité.

 

  La liste de référence d'oeuvres littéraires pour le troisième cycle présente ainsi vingt huit albums, allant du classique immortel (Le Nid des Marsupilamis, de Franquin) à la « nouvelle bande dessinée » (Monsieur Crocodile a beaucoup faim, de Joann Sfar, par exemple), en passant par les albums les plus inclassables et absurdes ( Philémon, le Naufragé du A, de Fred). Tous les genres sont également représentés, que ce soit l'humour (Mélusine, de Clarke et Gilson), l'aventure policière (Clifton, ce cher Wilkinson, de Turk et De Groot), le western (Western, de Rosinski et Van Hamme), ou la science-fiction, par exemple (Yoko Tsuno, le trio de l'étrange, par Leloup). L'enfant peut ainsi établir des passerelles, des connections avec d'autres oeuvres du même genre, sur d'autres supports, comme le roman policier. Il se rend compte que, d'un média à l'autre, un même genre reste balisé, codifié, ce qui le rend aisément reconnaissable. Du seul point de vue de la bande dessinée, on constate que cette liste d'albums de référence trouve un écho au collège, où, bien évidemment, le même genre de liste d'oeuvres existe, adaptée à l'age et aux connaissances des collégiens. Partie de chasse, d'Enki Bilal, fable désabusée sur la fin de la guerre froide préconisée pour la classe de troisième, par exemple, ne peut s'appréhender sans connaissances préalables sur cette période historique. Très souvent, ces listes pour le collège, abondantes, reprennent des héros déjà abordés au troisième cycle. Ainsi, il est préconisé en 6ème d'étudier un nouveau tome des aventures de Philémon, de Fred, le voyage de l'incrédule, et en 3ème son Histoire du corbac aux baskets, ouvrage plus adulte mêlant à son registre habituel ironie et critique sociale. De la même manière, en 5ème et en 4ème, on recommande aux professeurs de lire de nouveaux albums de la série Yoko Tsuno, de Leloup, ou de Spirou et Fantasio, de Franquin. Bien sûr, les analyses se font plus fines, les thèmes abordés sont différents (Le Dictateur et le Champignon, par exemple, trente septième opus de la série Spirou et Fantasio, peut permettre d'aborder le thème de la dictature, et peut facilement être mis en réseau avec d'autres oeuvres, comme Le Dictateur, de Charlie Chaplin), mais les élèves se retrouvent en terrain connu. Ils connaissent les auteurs, les héros, les univers dans lesquels ils évoluent. Les listes du collège préconisent également des séries inédites, dont les codes sont connus: l'aventure policière abordée dans Clifton, de Turk et de Groot, se retrouve ainsi dans la série Gil Jourdan, de Maurice Tillieux, préconisée en 5ème ou 4ème. Le genre du western, appréhendé avec Western, de Rosinski et Van Hamme, est familier à l'élève quand on lui présente, quelques années plus tard, Blueberry, de Giraud et Charlier, ou Lucky Luke, de Morris et Goscinny. Dans Lucky Luke, il peut même retrouver, entremêlés aux codes du western, des codes propres à la bande dessinée humoristique. C'est là la vocation des programmes et des listes de référence de l'éducation nationale: cela reste des oeuvres conseillées et non imposées, mais le bon emploi de ces listes permet à l'élève de se forger un patrimoine de lectures indispensable à sa compréhension ultérieure des ouvrages littéraires qu'il rencontrera tout au long de sa scolarité.

 

  A titre d'illustration, je vais maintenant réaliser quelques brèves analyses de trois albums pris au hasard dans la liste de référence du troisième cycle:

-Bob de Groot, Turk, Clifton, ce cher Wilkinson, Le Lombard, 1978.

-Fred, Philémon, le naufragé du A, Dargaud, 2006.

-Clarke, Gilson, Mélusine, Sortilèges, Dupuis 1995.

 

-Clifton, ce cher Wilkinson.

 

  Le colonel Harold Wilberforce Clifton, digne retraité du MI5, service de renseignements anglais, mène une paisible retraite aux côtés de sa gouvernante, la redoutable miss Partridge, retraite uniquement troublée par quelques affaires que lui confie régulièrement Scotland Yard. Mais un soir, son dîner est troublé par d'étranges phénomènes: soupières qui volent, vaisselle qui tombe.... tout porte à croire que la maison est hantée, ce que le colonel, en anglais flegmatique, militaire de surcroît, se refuse à croire. Il mène donc son enquête, qui ne tarde pas à le mener à Mr Wilkinson, un artiste de cabaret, qui a voulu, semble-t-il, lui faire une blague. Tout est bien qui finit bien, mais, quelques jours plus tard, un vol inexplicable se produit. Tout semble accuser Wilkinson.

 

Bande dessinée typique de l'école franco belge, Clifton, créé par Raymond Macherot en 1959, est une oeuvre attrayante, lisible, facilement abordable, et reprenant de façon claire le schéma narratif traditionnel (situation de départ, élément perturbateur, péripéties, élément de résolution, et situation finale). Les pistes pédagogiques y sont légion. En effet, cet album mêle adroitement éléments du genre policier, éléments comiques (les relations entre le colonel et sa truculente gouvernante) et éléments fantastiques (la télékinésie, admise comme normale). La caricature de l'anglais traditionnel, que l'on peut mettre en relation avec celle observée dans Astérix chez les Bretons ou avec l'image au premier degré de l'anglais traditionnel vue dans Blake et Mortimer, d'E.P. Jacobs, peut être prétexte à une étude de la civilisation anglaise et à une séance d'anglais, sur la vie quotidienne de l'anglais fantasmé comme on le croise dans Clifton. Les relations entre les personnages sont également dignes d'intérêt: les joutes verbales entre Clifton et sa gouvernante, dont il est jaloux du fait de sa notoriété supérieure à la sienne, en tant que meilleure cuisinière du royaume, sont savoureux, et donnent aux personnages une réelle épaisseur, au delà des effets comiques induits par ce bouleversement de la hiérarchie.


-Philémon, le Naufragé du A.

 

 

 

  Philémon, jeune fermier, tombe dans un puits. Il arrive directement sur des îles étranges, formées par les lettres de l'Océan Atlantique. Barthélémy, le puisatier arrivé avant lui lui fait découvrir les merveilles et les bizarreries de ces mondes étranges: plante-horloge, arbre à bouteilles....

 

Aventures oniriques, inclassables, que l'on pourrait rapprocher d'Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, les pérégrinations de Philémon, anti-héros atypique, n'ont pas rencontré le succès lors de sa publication dans Pilote, malgré l'engouement de René Goscinny. Elle est néanmoins restée dans les mémoires comme l'une des bandes dessinées les plus poétiques et les plus originales de la production franco-belge. Fred y repousse sans cesse les limites de son média, que ce soit du point de vue du graphisme, très personnel et au service de son univers, au détriment de toute velléité esthétique, que du récit. Les pistes pédagogiques y sont ici aussi très nombreuses: on peut citer, pêle-mêle, les références au voyage dans le temps et aux paradoxes temporels, les références à la mythologie (les licornes, les centaures, etc...), le thème de l'exotisme et du naufragé, qui rappelle le personnage de Robinson Crusoé.... toutes ces références culturelles dans Philémon constituent des stratagèmes narratifs, et permettent de mettre cette oeuvre en réseau avec d'autres, pour mieux la comprendre.

 

 

-Mélusine, Sortilèges.

 

  Mélusine, fraîche adolescente, élève en sorcellerie, arrive dans un lugubre château pour y solliciter un poste de servante aux maîtres de maison, une fantôme acariâtre et un vampire indolent. C'est le début d'une série de gags, où l'on retrouve Mélusine aux prises avec ses études, son travail, souvent ingrat, les craintifs habitants du village menés par un prêtre vindicatif, et sa vieille tante Adrazelle.

L'attrait de cette bande dessinée pour les plus jeunes (cycle 2, notamment) est avant tout son comique de situation très fort, qui s'exprime à travers des gags en une planche, ce qui s'avère idéal pour des séances ponctuelles d'introduction à la bande dessinée. Mais cette série recèle un second niveau de lecture, plus accessible dans le cadre de séquences plus longue avec des élèves plus agés. Comme le souligne Gilles Béhotéguy1, c'est à un choc entre deux mondes, deux époques, deux cultures auquel assiste le lecteur. Mélusine est à la croisée de ces deux mondes: l'univers, familier pour les élèves, des adolescentes modernes, fait de devoirs, de cours ennuyeux, de romantisme désuet et de longues sessions de bavardages entre amies, et l'univers également familier, balisé par la littérature ou le cinéma, d'une horreur grandiloquente, caricaturale, qui semble puiser son inspiration dans les films de la Hammer. On y croise tour à tour vampires, sorcières, monstre de Frankenstein, loup garou, dans un joyeux imbroglio duquel Mélusine doit en permanence tirer son épingle du jeu en comptant sur ses pouvoirs encore balbutiants. Les meilleures illustrations de cette confrontation de mondes diamétralement opposés sont les échanges récurrents entre Mélusine, jeune sorcière « moderne » et sa vieille tante Adrazelle, image d'Epinal de la sorcière traditionnelle telle qu'on la connait, vieille, méchante, repoussante, vêtue de noir, et chevauchant un balai. Cet aspect, mis en parallèle avec les mises en réseau possibles avec la littérature fantastique, offre à l'enseignant des pistes pédagogiques très intéressantes, qui trouveront nécessairement un écho parmi ses élèves.

 

1BEHOTEGUY Gilles, Mélusine, l'enfant terrible de la sorcellerie, dans Nous voulons lire! N°166, septembre 2006, pp. 27-33.

 

Publicité
Publicité
19 avril 2012

"Quartier Lointain", Jiro Taniguchi.

   Je ne suis pas un fervent lecteur de mangas: rebuté, comme beaucoup, par le sens de lecture inhabituel (de droite à gauche), par le format, et par l'image « Club Dorothée », je ne m'y suis intéressé que tardivement. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de faire une rapide présentation de Quartier Lointain, de Jiro Taniguchi, considéré comme le plus « européen » des auteurs de mangas, et de ce fait « ambassadeur » de ce média typiquement japonais auprès des néophytes. C'est ainsi l'un des rares mangakas dont les oeuvres, du moins certaines d'entre elles, sont publiées par Casterman dans un sens de lecture à l'occidentale, de gauche à droite.

   Hiroshi Hakahara, 48 ans, marié et père de famille, est un cadre japonais ordinaire: surmené, dévoué à son travail, il mène une vie harassante, dénuée de sens et de ce fait légèrement déprimante, ce qu'il compense en partie grâce à l'alcool. Un soir, épuisé, il se trompe de train et se retrouve dans la ville de son enfance. Il en profite pour se rendre sur la tombe de sa mère, où il est pris d'un soudain malaise. Il se réveille en pleine forme, et pour cause: il se retrouve dans la peau de l'adolescent de 14 ans qu'il a été, dans une ville rajeunie de 34 ans, tout en conservant sa conscience d'homme mûr. D'abord désorienté par ce phénomène, il ne tarde pas à saisir la chance unique qui s'offre à lui: il entreprend de revivre son enfance, de l'améliorer grâce à son expérience. Très vite, il commence à briller à l'école, se met à pratiquer l'athlétisme, et séduit la plus belle fille du collège. Dans un registre plus grave, il redécouvre ses parents et tente de découvrir les raisons qui ont poussé son père à disparaître en 1963, et d'empêcher cet évènement, en vain.

    Nous sommes ici loin du cliché du manga « traditionnel »,simpliste, destiné aux enfants, et émaillé d'onomatopées et de violence. Au Japon, encore plus que dans les autres pays, la bande dessinée est un secteur extrêmement segmenté, avec des produits calibrés pour chaque public: pour les enfants, les adolescents, les adolescentes...... ici nous sommes clairement face à un manga destiné à un public adulte, et dont le thème tourne autour d'un questionnement crucial, encore plus au Japon où la quête effrénée de productivité suscite bon nombre de dépressions et de crises existentielles: ai-je réussi ma vie? Si j'avais l'opportunité de tout recommencer, que ferais-je différemment? Le héros, Hiroshi, se pose manifestement ces questions, et ne tarde pas à occulter sa « vraie » vie et l'étrangeté de sa situation pour profiter pleinement de cette nouvelle jeunesse, de cette inespérée deuxième chance que le destin lui donne. C'est l'opportunité pour lui de revoir le jugement porté sur ses parents et surtout sur le départ de son père traumatisme jamais résolu, avec des yeux neufs d'homme adulte. En s'interrogeant sur leur passé, en observant leur comportement, il finit par comprendre le besoin d'ailleurs, le désir de tout recommencer de son père. Après tout, lui-même n'est il pas en train de déserter égoïstement sa propre famille et ses responsabilités pour revivre son enfance et modifier le cours de son existence? C'est cette brutale révélation qui lui permet, apaisé, de regagner sa propre époque. Magnifique évocation du temps qui passe, de l'impossibilité de changer le passé et de l'obligation de vivre avec des remords et des regrets, Quartier Lointain s'adresse à tous. En effet, qui ne rêverait pas de revenir en arrière et de tout recommencer? Cette oeuvre, comme bon nombre d'ouvrages du même auteur, constitue une très bonne introduction à la bande dessinée japonaise et redore le blason de ce média souvent décrié pour sa supposée faible qualité, comme a pu l'être la bande dessinée européenne il n'y a pas si longtemps.

19 avril 2012

"Maus", Art Spiegelman.

   Dans ce récit, lauréat d'un prix Pulitzer spécial en 1992, fait sans précédent pour une bande dessinée, Art Spiegelman, auteur juif new-yorkais de comics nous relate l'histoire de son père, Vladek, survivant des camps de la mort durant la Shoah. Initialement parue en deux volumes, cette bande dessinée, faite d'allers-retours incessants entre passé et présent (du moins le « présent » de la gestation de l'album, quand Art, qui se représente lui même, nous dépeint les entretiens qu'il a eu avec son père sur ce sujet. Vladek meurt d'ailleurs avant la fin de cette gestation) ne se contente pas de nous narrer la petite histoire de Vladek Spiegelman, pris dans les filets de la grande Histoire, mais nous montre également les rapports conflictuels d'un fils qui a du mal à comprendre son père, traumatisé par cette expérience, et qui, somme toute, n'est symboliquement jamais sorti du camp. Le poids de ce traumatisme est tel que son épouse, rescapée également, n'a pu le supporter et a fini par se suicider. Comme le souligne Serge Kaganski1, il n'est pas facile pour l'art, quel qu'il soit, de représenter un épisode aussi obscène et effroyable que la Shoah. Le risque de tomber dans une fascination de l'horreur occultant, de par son aspect spectaculaire, la réalité des faits historiques, est grand. Il convient également, aujourd'hui encore, de s'en tenir à une certaine pudeur vis à vis des survivants et de leurs descendants. Comment aborder la restitution de la Shoah, nécessaire dans le cadre d'un indispensable devoir de mémoire, sans tomber dans ces travers? Spiegelman répond à cette question: bien que n'étant pas lui même un survivant, sa démarche est légitime: fils de survivant ayant grandi dans l'ombre d'un frère ainé mort dans les chambres à gaz, il cherche par ce biais à reconstituer l'histoire de sa famille, une histoire rarement abordée, mais qui a marqué profondément ses parents et son éducation. C'est ainsi une façon de comprendre son père, qu'il décrit sans complaisance comme un vieux pingre raciste, grincheux et asocial, le parfait stéréotype du juif comme pouvait le répandre la propagande nazie. De fait, pour échapper aux rafles nazies, comme pour survivre dans les camps où règne une totale déshumanisation, la débrouillardise, les arrangements douteux sont rois. Bien souvent, c'est grâce à son astuce que Vladek a pu survivre. De par son histoire familiale, mais aussi de par son style graphique, dépouillé, marqué par un anthropomorphisme en général naïf (voir par exemple les dessins animés de Walt Disney) mais ici lourd de sens (le fait de représenter les juifs comme des souris, voire des rats, renvoie de façon glaçante à la propagande hitlérienne de l'époque. Les nazis, eux, sont logiquement des chats), Spiegelman trouve le juste équilibre entre réalisme et stylisation, entre proximité et distanciation vis à vis des événements, comme l'indique encore Serge Kaganski dans son article2. Spiegelman rend l'horreur palpable, réelle, mais sa stylisation permet une distance, qui laisse au lecteur toute latitude pour construire son propre rapport à la Shoah, au lieu d'être littéralement écrasé par des images crues, oppressantes, ne laissant aucune place à l'imagination.

   Maus est donc une oeuvre nécessaire, marquée par la nécessité pour l'auteur de rendre compte de cette histoire, imbriquée dans l'Histoire. Devoir de mémoire pour l'ensemble des victimes de la folie nazie, bien sûr, mais aussi pour son défunt père, elle constitue pour lui une thérapie salutaire pour comprendre sa propre histoire, et nous permet d'appréhender, par cette fenêtre ouverte sur le parcours d'un survivant anonyme, toute l'horreur de cet épisode historique.

1KAGANSKI Serge, « Maus », dans 100 BD indispensables, op. cit., p.7.

2Ibidem.

18 avril 2012

Watchmen, les Gardiens, Alan Moore, Dave Gibbons

  Alan Moore, prolifique scénariste anglais considéré comme un génie à qui l'on doit V pour Vendetta ou La Ligue des Gentlemen Extraordinaires nous livre un récit pessimiste et désenchanté, bien loin des standards du comics de super-héros « traditionnel ». Cette oeuvre, traduite en français par Jean-Patrick Manchette, auteur réputé de romans policiers, a reçu de nombreux prix et distinctions: meilleure bande dessinée étrangère au festival d'Angoulême 1989, c'est également la première bande dessinée à recevoir le prestigieux Prix Hugo, prix littéraire récompensant les meilleurs ouvrages de science-fiction ou de fantasy de langue anglaise. De la même manière, le journal américain Times la classe parmi les cent meilleurs romans du siècle1. On le constate, l'aura de cette oeuvre majeure va bien au delà du microcosme de la bande dessinée: elle s'attaque en effet à un des mythes fondateurs de la culture américaine du XXème siècle, le héros en collant, et lui redonne son humanité. Nous sommes en 1985, dans une uchronie (réécriture de l'histoire en partant du principe qu'un événement du passé s'est déroulé autrement, ce qui a modifié le monde tel que nous le connaissons aujourd'hui) où Richard Nixon est toujours président des Etats Unis d'Amérique. Celui-ci, grâce aux pouvoirs du Dr Manhattan, super-héros aux pouvoirs absolus depuis un incident nucléaire, a gagné la guerre du Viet-Nam, et a su étouffer le scandale du Watergate. La présence de ce super-héros, le seul à posséder des pouvoirs surhumains, rend inutile la logique de l'équilibre de la terreur entre les deux puissances que sont les USA et l'URSS. Les super-héros, symboles d'une justice officieuse, violente et expéditive, sont interdits depuis 1977. Seuls le Dr Manhattan et Le Comédien, sorte de super-agent de la CIA aux convictions nationalistes, pour ne pas dire fascistes, conservent le droit de garder leur identité secrète, et pour cause: ils travaillent tous deux pour le gouvernement. Le dernier « masque » à demeurer dans la clandestinité est Rorschach, héros psychotique, paranoïaque, se sentant investi d'une mission purificatrice, ce qui se traduit par une extrême violence: à l'issue de ses enquêtes, il n'hésite ainsi pas à exécuter les criminels. Les autres héros, à la retraite, mènent une vie paisible en se remémorant avec nostalgie leurs glorieux faits d'armes passés. Le récit commence avec l'assassinat mystérieux du Comédien. Rorschach mène l'enquête, et arrive très vite à la conclusion que quelqu'un cherche à abattre les anciens héros masqués. Dans le même temps, le Dr Manhattan, être omniscient de plus en plus détaché du monde qui l'a vu naitre, quitte la Terre à la suite d'un scandale: on l'accuse d'être la cause du cancer de son ancienne compagne. L'arme absolue de Nixon absente, la Guerre Froide semble atteindre son point de rupture, et la menace d'une attaque nucléaire soviétique devient de plus en plus oppressante.

  Les super-héros traditionnels, positifs, altruistes, bienveillants, sont morts. Alan Moore les remplace par des êtres humains faillibles, vieillissants, et exempts de toute forme de manichéisme. A l'aide de flash-backs, d'encarts reprenant des coupures de presse, il nous fait plonger toujours plus profondément dans ce monde à la fois familier et étrange, mais en même temps terriblement cohérent. En effet, dans les comics traditionnels de super-héros, les surhommes semblent faire partie tout naturellement du quotidien de leurs contemporains, et évoluent dans une sorte de bulle hors du temps, sans avoir de réel impact sur le cours des événements tels que nous les connaissons aujourd'hui. Mais ici, Alan Moore se pose une question simple, à laquelle aucun autre auteur ne semblait avoir pensé jusque là: avec Superman dans nos rangs, jusqu'à quel point le cours de l'histoire aurait pu être modifié? Le monde tel que nous le connaissons aujourd'hui aurait-il la même physionomie? La réponse de Moore est glaçante: il dépeint un monde où Richard Nixon, auréolé de la gloire du Dr Manhattan, conserve le pouvoir jalousement, à la manière d'un roi africain, un monde dont le basculement dans l'horreur nucléaire ne tient qu'à un fil, à savoir le bon vouloir d'un héros surhumain qui se désintéresse de plus en plus de la condition humaine. Les flash-backs et les coupures de presse servent également à nous renseigner sur la psychologie des héros, êtres perfectibles, bien éloignés des figures lisses et infaillibles qui ont autrefois fait la joie des jeunes américains. Il n'est plus possible de s'y identifier, ce sont désormais des êtres humains à part entière, avec leurs passés, plus ou moins glorieux, leurs doutes, leurs défauts. Ce n'est pas un hasard si Alan Moore choisit de nouveaux héros, inconnus, au lieu de reprendre une « franchise » et d'adapter Batman ou Superman: cette oeuvre pousse le concept du super-héros masqué dans ses derniers retranchements, et nous livre une image jusqu'alors insoupçonnée. Il était naturellement impossible de pervertir les héros traditionnels de l'Amérique, même si, à travers Watchmen, les super-héros accèdent enfin à l'age adulte.

1Source: GEREAUME Mickaël, « Watchmen », sur le site Planète BD, 12 janvier 2012, consulté à l'adresse http://www.planetebd.com/comics/urban-comics/watchmen/-/15024.html#image le 17 avril 2012.

17 avril 2012

Astérix chez les Bretons, Goscinny et Uderzo, 1965.

   Nous sommes en 50 avant Jésus Christ. Toute l'île de Bretagne (l'actuelle Angleterre) est occupée par les troupes de Jules César. Toute? Non. Car un petit village résiste encore et toujours à l'envahisseur romain. Ainsi commence ce huitième opus des aventures d'Astérix et Obélix. Ce petit village breton, transposition outre-manche du village de nos héros, est aux abois: il résiste, mais, ne disposant pas de la potion magique du druide Panoramix, sa chute est inéluctable. Le chef du village, Zebigbos, envoie alors en Gaule Jolitorax, fier guerrier qui présente la particularité d'être le cousin germain d'Astérix. Sa mission: ramener de la potion magique, dernier espoir du village. Les gaulois acceptent de lui venir en aide, mais, arrivé sur l'île, le tonneau de potion disparaît. A l'issue d'une quête effrénée, émaillée de gags, de bagarres et de quiproquos, le tonneau finit par être brisé et son contenu perdu. C'est compter sans la ruse d'Astérix, qui infuse dans l'eau chaude de cinq heures des herbes mystérieuses, en faisant croire aux bretons qu'il s'agit de potion. Galvanisés, ceux-ci mettent les romains en déroute. C'est la naissance de la boisson « nationale » de la Bretagne, le thé.

   Comme je l'ai dit précédemment, la force des scénarios de Goscinny est de proposer plusieurs niveaux de lecture, que l'on soit enfant ou adulte (de 7 à 77 ans, en somme). Les plus jeunes lecteurs se régalent des gags, des bagarres, tandis que les plus âgés y trouvent également leur compte, grâce aux nombreuses références, et autres clins d'oeil dont ces albums regorgent. Dans Astérix chez les Bretons, particulièrement, Goscinny s'en donne à coeur joie: il déroule consciencieusement tous les clichés les pus éculés concernant l'Angleterre et ses habitants. On peut citer, pêle-mêle, le fog (brouillard typique), qui succède à la pluie, la cuisine, repoussante pour les continentaux (le sanglier bouilli à la menthe, la cervoise tiède), le rituel de l'eau chaude à cinq heures (ils n'ont pas encore de thé à y faire infuser), accompagné de « rôties »(traduction littérale de « toasts »), le week end, pendant lequel les bretons cessent de se battre, le rugby, qui se joue avec une calebasse, la conduite à gauche...... on croise même au détour de la page 19 les ancêtres des Beatles, pris dans une émeute de jeunes bretonnes hystériques. Mais l'un des éléments comiques récurrents les plus efficace reste la transcription littérale en français de la syntaxe anglaise: les adjectifs sont placés avant les noms (« une romaine patrouille »), le « n'est-il pas? », traduction du « isn't it »...... le peuple breton, et par extension le peuple anglais, est dépeint comme un peuple étrange, avec des coutumes grotesques, mais Goscinny n'oublie pas de rappeler que ce peuple, descendant de tribus gauloises venues s'installer en Bretagne et parlant toujours la même langue, n'est pas si éloigné de nos héros habituels. C'est là que commence le troisième niveau de lecture: la référence historique. En 1066, les troupes du duc de Normandie Guillaume le Conquérant achèvent la conquête de l'Angleterre. Ces conquérants venus du continent s'y établissent et injectent dans le vieil anglais des éléments de leur propre langue: les anglais, descendants en partie de ces normands et parlant une langue bâtarde, ne sont pas si éloignés de nous, fait que des siècles de conflits plus ou moins déclarés avec la Perfide Albion, ennemie héréditaire, avaient fini par occulter. Mais en 1965, cette sourde rivalité n'est plus qu'un souvenir, certes encore vivace. Désormais, le statut d'ennemi héréditaire appartient à l'Allemagne. L'occupation nazie ne date que de vingt ans. Dans cet album, que l'on peut considérer de ce point de vue comme un clin d'oeil, ou comme un hommage, les rôles tenus par la France et l'Angleterre durant la seconde guerre mondiale sont inversés: la Gaule et la Bretagne sont toutes deux confrontées à la cupidité de l'envahisseur romain, sorte de métaphore, la dimension idéologique en moins, de l'occupant nazi, mais c'est au tour de la Gaule, par le biais du petit village de fiers résistants, de venir en aide à la « résistance bretonne », en leur faisant parvenir en secret de la potion magique, arme décisive contre les légions romaines. Dans cet album, Goscinny nous démontre que désormais, au delà des vieilles inimitiés et des différences culturelles, la Gaule et la Bretagne, et par extension la France et la Bretagne sont alliées, face à un ennemi commun.

Publicité
Publicité
16 avril 2012

Les Bijoux de la Castafiore.

   L'histoire de la bande dessinée est marquée par des albums fondateurs, donnant au genre ses lettres de noblesse. Je vais m'efforcer d'en analyser ici quelques uns, en commencant par Les Bijoux de la Castafiore, chef d'oeuvre d'Hergé.

   Tintin et le capitaine Haddock sont paisiblement en train de se reposer de leurs aventures effrénées dans le château de Moulinsart, propriété du capitaine Haddock depuis la découverte du trésor de Rackham le Rouge, quand soudain, c'est le drame: la chanteuse Bianca Castafiore, cataclysme ambulant, cauchemar du capitaine, annonce son arrivée imminente, pour se ressourcer quelques temps à la campagne. La panique gagne le brave marin, qui, en tentant de fuir, tombe dans l'escalier, à cause de la marche cassée que le marbrier mettra tout l'album à daigner venir réparer. Bloqué au château, Tintin, le capitaine et tous les autres personnages récurrents de l'univers d'Hergé sont obligés de subir la présence de cette grosse bonne femme, seule présence féminine dans Tintin, que l'auteur a voulue inculte, sans-gêne, vulgaire et passablement stupide. C'est la curée pour les journalistes, qui assiègent le château dans le but de recueillir une interview de la diva. C'est lors d'une interview télévisée que le fait divers donnant son nom à l'album intervient: le plus beau bijou de la Castafiore disparait mystérieusement!!!! Heureusement, les Dupondt s'emparent de l'enquête, mais, malgré leur diligence, le crime reste insoluble, jusqu'à ce que Tintin, dans un éclair de génie, trouve la solution: l'émeraude a été dérobée par une pie!!!

   Ce genre d'affirmation sonne comme un stéréotype pour biographies bon marché, mais, force est de constater qu'en 1963, Hergé est au sommet de son art. Les accusations de racisme, de colonialisme primaire et de collaboration avec l'occupant allemand sont loin derrière lui. Ne reste que son oeuvre, universelle, qu'il réalise bardé d'une horde d'assistants dévoués, et qui acquiert de plus en plus de profondeur au fur et à mesure du temps qui passe. En effet il est couramment admis, c'est même devenu un slogan publicitaire, que Tintin se destine à tout le monde, de 7 à 77 ans, mais un lecteur de 7 ans préférera sans doutes le diptyque du Secret de la Licorne et du Trésor de Rackham le Rouge, aventures au premier degré, dépaysantes, axées sur une thématique chère à la littérature d'aventures, la quête sans cesse revisitée depuis Stevenson et son Ile au Trésor du trésor de pirates. Les Bijoux de la Castafiore, en revanche, est un album étrange, plus accessible à un public adulte, et qui constitue une rupture dans l'oeuvre d'Hergé, comme en témoigne, fait sans précédent, l'attitude du héros sur la couverture: Tintin prend ici directement le lecteur à parti, et, doigt sur la bouche, avec un air de connivence, semble signifier au lecteur qu'il va, dans cet album, tout voir, tout savoir, tout comprendre, mais qu'il ne doit pas en souffler mot aux protagonistes de l'histoire, un peu comme Guignol mettant les enfants dans la confidence au théâtre. De fait, nous sommes ici face à un pur vaudeville, émaillé de malentendus, de fausses pistes, le tout dans le cadre d'un huis clos: les protagonistes ne quittent pas le château de Moulinsart, qui se mue en scène de théâtre. Hergé, auréolé de gloire, peut se permettre de livrer un album sans réelle action, centré sur l'observation des personnages, dont il creuse profondément la psychologie. Ces personnages ne sont plus des acteurs, des héros sans âme (dans le cas de Tintin, figure lisse dans laquelle le lecteur peut s'identifier), mais deviennent des jouets entre les mains de l'auteur, marionnettiste diabolique qui s'amuse ici à leur enlever leur part de mythe. Pour la première fois, Tintin, héros inoxydable, connait la peur, caché dans le grenier du château. Le capitaine Haddock, vieux loup de mer irascible bloqué dans le plâtre par une marche d'escalier défectueuse, se plait à jouer les châtelains au milieu de la tempête médiatique suscitée par la présence de Bianca Castafiore, diva insupportable suintante de prétention et à l'ignorance criante, suscitant malgré tout une inexplicable vénération. Le professeur Tournesol, savant débonnaire et un tantinet distrait à qui l'on doit tout de même la conquête de la Lune quinze ans avant l'équipée de Neil Armstrong, se pique désormais de botanique dans ce qui ressemble à une retraite prématurée, tout en nourrissant des sentiments inavouables vis à vis de la chanteuse en villégiature au château. Seuls les Dupondt, ahuris notoires bouffis d'incompétence, restent fidèles à eux même en accusant tour à tour, sans la moindre preuve, tous les membres de la maisonnée du vol du joyau. Il ne se passe rien ici: pas d'aventures exotiques dans de lointains pays, pas de trésor mystérieux à retrouver, pas d'innocents à sauver d'un sort funeste, juste un exaltant jeu de dupes autour d'une intrigue au final inexistante, autour de laquelle se multiplient les fausses pistes. Dans ce huis clos, Hergé démonte son univers habituellement bien réglé en enfermant des personnages des personnages qu'il a passé tant d'années à camper et à rendre vivants aux yeux des lecteurs dans le château, et en les confrontant à la mesquinerie du quotidien et des faux-semblants. C'est en quelque sorte les « coulisses » des « vraies » aventures de Tintin. On ne peut pas être un héros de papier en permanence. Tintin a lui aussi ses moments de faiblesse, ses temps morts, ce qui lui confère une humanité qu'il ne possédait pas auparavant. Hergé en profite également pour essayer de régler ses comptes avec les soupçons de racisme nés avec Tintin au Congo, en établissant à la fin de l'album l'innocence des tziganes, coupables tout désignés par les certitudes imbéciles des Dupondt. Il brocarde également avec férocité les médias, dont il est lui même une victime grâce au succès de son oeuvre. En résumé, Tintin a beau être une bande dessinée destinée à tous, de 7 à 77 ans, c'est avec Les Bijoux de la Castafiore, à placer au même rang que Tintin au Tibet, chef-d'oeuvre d'introspection, qu'Hergé fait accéder son personnage fétiche à l'age adulte, donnant par la même occasion au monde une oeuvre universelle et immortelle.

13 avril 2012

Pourquoi ce blog??

   Etudiant en deuxième année de Master Education des Jeunes Enfants à l'IUFM d'Aquitaine, je suis en train de réaliser un mémoire professionnel sur les rapports entre bande dessinée et monde éducatif. Très longtemps, ce média relativement récent, distraction coupable des enfants et des adolescents improductifs, a été vaguement méprisé par le monde littéraire, qui lui préféraient la "vraie" littérature, solide, sans images parasites. L'évolution des mentalités à ce sujet est le fruit des efforts d'auteurs majeurs, comme par exemple René Goscinny, créateur d'Astérix et cofondateur de la revue Pilote, laboratoire de nouveaux talents dès les années 1960, Art Spiegelman, auteur du célèbre Maus, prix Pulitzer 1992. Aujourd'hui, la bande dessinée est considérée comme un genre littéraire à part entière, tendance concrétisée par l'ajout de nombreuses oeuvres dans les listes officielles du ministère de l'éducation nationale. C'est ce processus que je me propose de traiter dans ce blog, à travers un historique de la BD, l'analyse de quelques albums "fondateurs", de la place actuelle de la BD à l'école...... quant au titre...... eh bien je suis en train de travailler sur Les Bijoux de la Castafiore, d'Hergé (fascinant article à venir, au passage), du coup c'est une sorte de hasard conditionné par mon manque total d'inspiration à 8h du matin (car, oui, je le précise, le présent blog va constituer le support de mon évaluation dans le cadre de l'option "éducation aux médias"), avec en plus un vague jeu de mot assez laborieux lié à la liste plus que rabachée des mots en -ou se terminant par un x au pluriel (bijoux, hiboux, genoux, etc, etc.......), clin d'oeil fugace au monde de l'éducation...... (j'espere que je n'aurai pas d'ennuis avec Moulinsart SA)

 

13 avril 2012

Un historique rapide de la bande dessinée.

   La bande dessinée est un média relativement ancien. Il est couramment admis que le « père » de la bande dessinée est le suisse Rodolphe Töppfer, mort en 1846. C'est ainsi le premier à réaliser des dessins dans des cases et à jouer avec l'interdépendance texte/image, même si le texte en question ne prend pas encore place dans des phylactères, ou bulles. Conscient d'être en train de créer un nouveau mode d'expression, il en donne une première définition: « elle est d'une nature mixte et se compose d'une série de dessins au trait, chacun de ces dessins est accompagné d'une ou deux lignes de texte. Le dessin sans ce texte n'aurait qu'une signification obscure; le texte sans le dessin ne signifierait rien ». Les phylactères ne sont pas encore présents, mais l'interdépendance texte/image est déjà posée: ce sont les balbutiements de la bande dessinée telle que nous la connaissons aujourd'hui, et que Will Eisner, grand auteur new-yorkais de comics et théoricien respecté de son art, définit de la façon suivant: pour lui, la bande dessinée est un « art séquentiel ». A partir de cette définition pour le moins lapidaire, Scott Mc Cloud, dans son célèbre essai l'Art Invisible expliquant sous forme de bande dessinée les mécanismes de ce média particulier, élabore en 1993 une définition plus précise: « images picturales et autres, volontairement juxtaposées en séquences, destinées à transmettre des informations et/ou à provoquer une réaction esthétique chez le lecteur ». Si on se cantonne à ces seules définitions, les racines de la bande dessinée sont à chercher à des époques bien plus reculées que le XIXème siècle de Töppfer: on peut citer en exemple les peintures égyptiennes, répondant la plupart du temps à de tels critères (à ne pas confondre avec les hiéroglyphes, qui ne constituent qu'un alphabet se rapportant à des sons). Plus proche de nous, au moyen-age, il ne faut pas oublier la tapisserie de Bayeux: celle-ci, longue de 70m, relate la conquête de l'Angleterre par les normands de Guillaume le Conquérant en 1066. Les différents épisodes de cette conquête y figurent chronologiquement, et se lisent de gauche à droite.

    Le terme « bande dessinée »,en revanche, est récent: jusqu'à la fin des années 50, le public parlait plus volontiers d'illustrés. Le terme « bandes dessinées » n'apparait que dans les années 40. Il vient des Etats-Unis, de l'anglais « comic strip », ou beaucoup de gags en une bande, comme par exemple Male Call, série patriotique de Milton Caniff, paraissent dans la presse, sous forme de feuilletons. En France, par contre, les auteurs travaillent à la planche et non à la bande, ce qui explique l'adoption tardive de ce terme.

    C'est de toutes façons aux Etats-Unis que la bande dessinée éclate et se diffuse vraiment, par le biais de la presse: The Yellow Kid, de Richard Felton Outcault, est la première série publiée sous cette forme en 1896. C'est dans cette bande dessinée qu'apparaissent pour la première fois les phylactères, mieux connus sous le nom de bulles ou ballons. L'engouement autour de cette publication est tel que cette pratique se généralise. Le succès de ces comic strips publiés dans les journaux ne se dément pas, même si ce sont des oeuvres qui, de par leur support, s'adressent aux adultes et non aux enfants, ce qui constitue une particularité par rapport à l'Europe, comme nous le verrons par la suite. La bande dessinée d'outre-atlantique continue ensuite à se développer dans les « comic books », petits fascicules d'une trentaine de pages. Superman, héros emblématique, y voit par exemple le jour en 1938.

    Pendant ce temps en Europe, c'est dans les revues pour enfants, très conservatrices (on peut prendre pour exemple le célèbre Petit Vingtième, supplément pour la jeunesse du très catholique journal belge Le Vingtième Siècle, dans lequel Tintin apparaît en 1929) , que la bande dessinée se développe timidement. On peut ainsi citer Tintin d'Hergé, bien sûr, mais aussi Zig et Puce, d'Alain Saint-Ogan, première oeuvre européenne à oser s'affranchir dès 1925 du texte sous l'image, jugé alors plus sérieux, au profit des bulles.

   Dans les années 1930, les comics américains envahissent la France: malgré une traduction fortement édulcorée pour s'adapter au jeune public, elle reste vive, nerveuse, audacieuse, et ne tarde pas à balayer les productions françaises de l'époque, jugée trop mièvres. En réaction, les auteurs européens essayent de produire des oeuvres de meilleure qualité, capables de rivaliser avec cette vague. C'est à cette période, dès 1929, qu'apparait Tintin en Belgique. La création d'Hergé, qui connait rapidement un succès international, constitue un électrochoc qui va considérablement et durablement influencer la bande dessinée européenne, que ce soit au niveau graphique (la célèbre « ligne claire » d'Hergé, caractérisée notamment par des dessins aux contours réguliers et des couleurs en aplats, qui inspire de nombreux auteurs comme E.P Jacobs, le père de Blake et Mortimer) ou au niveau narratif. Il amène ainsi deux éléments nouveaux: tout d'abord un scénario bâti de bout en bout. En effet, même si les premiers albums (de Tintin au Pays des Soviets à Tintin au Congo) sont constitués de saynètes relativement indépendantes et juxtaposées, le ton change à partir du diptyque que forment Les Cigares du Pharaon et Le Lotus Bleu: le récit est construit, élaboré, ce qui est étroitement lié au deuxième apport d'Hergé à la bande dessinée franco-belge, à savoir la recherche d'une documentation précise: ainsi sa rencontre avec le jeune étudiant chinois Tchang Tchong-Jen le pousse à se documenter pour ses scénarios. C'est la raison pour laquelle le Lotus Bleu n'est pas, à la différence de Tintin au Congo ( album sulfureux, encore catalogué aujourd'hui comme un pamphlet raciste en faveur de la colonisation, sans tenir compte du contexte de la parution)ou Tintin en Amérique, un amas de stéréotypes typiques des préjugés et des idées reçues de l'époque, mais une oeuvre beaucoup plus moderne, reflétant les tensions de l'époque entre la Chine et le Japon, et dénonçant le racisme des européens vis à vis des chinois, tout en n'oubliant pas de distraire les jeunes lecteurs. Cela marque une rupture franche avec le reste de la production de bandes dessinées pour la jeunesse mais aussi et surtout avec les oeuvres de jeunesse d'Hergé. Le succès de Tintin est considérable, et ne se dément toujours pas (voir la luxueuse adaptation de Steven Spielberg sortie dans les salles obscures en 2011). Ainsi, le Journal de Tintin commence à paraître en 1946 et publie des auteurs qui s'inspirent largement du « style Hergé »: Jacobs, bien sûr, mais aussi Jacques Martin (Alix), Jean Graton (Michel Vaillant), ou Tibet (Ric Hochet). En effet, à cette époque en Europe (essentiellement en France et en Belgique), la bande dessinée se diffuse essentiellement par le biais de la presse, comme aux Etats-Unis, et dans une bien moindre mesure par le biais d'albums cartonnés, bien plus onéreux. Cette pratique permet aux éditeurs de laisser plus facilement leur chance à de jeunes auteurs inconnus sans engager les frais importants qu'implique l'édition d'un album. Parmi ces publications « historiques », on peut citer Le Journal de Tintin, tout d'abord, axé sur la bande dessinée d'aventure, le belge Spirou, où le personnage du groom Spirou a vu le jour en 1938, bien sûr, plus centré sur l'humour, mais aussi l'hebdomadaire français Vaillant, ancêtre de Pif Gadget, édité par le parti communiste, qui publie les oeuvres d'Arnal (Pif le Chien), Tabary (Totoche), ou Gotlib (Gai-Luron).

   Ces trois revues sont destinées à un public bien spécifique: les enfants, pour qui elles constituent une lecture récréative, vaguement méprisée par les parents et par les instituteurs, pour lesquels ces « illustrés » ne se rapprochent en rien de la « vraie » littérature. Cette tendance change radicalement dès 1959, avec la parution du magazine Pilote,fondé par les scénaristes René Goscinny et Jean-Michel Charlier et par le dessinateur Albert Uderzo. A cette époque, signe du dédain général vis à vis de cette forme de littérature, seul le dessinateur est rémunéré: aucun éditeur ne reconnaît l'existence des scénaristes. Charles Dupuis, éditeur du magazine Spirou, aimait à dire la chose suivante: « si un dessinateur veut s'offrir un scénariste, c'est son problème, pas le mien ». En réaction, les trois auteurs cités plus haut essayent de faire passer auprès des différents éditeurs une charte portant sur les droits d'auteur et les conditions de travail. En guise de représailles ils sont ostracisés par la profession. Ce n'est que quelques années plus tard qu'ils réussissent à financer et créer leur propre journal. La création de Pilote constitue une rupture majeure: s'adressant dans les premiers temps aux adolescents et non plus aux enfants, il évolue au même rythme que son lectorat, pour se tourner de plus en plus vers un public adulte. Attirant dans ses pages les auteurs les plus talentueux, comme Greg (Achille Talon), Gotlib (Rubrique-à-brac), Fred, Claire Brétécher, Jacques Tardi ou Enki Bilal, il donne à la bande dessinée française un de ses héros majeurs, Astérix, pour qui l'engouement est immédiat et considérable. Flattant le patriotisme français (la Seconde Guerre Mondiale n'est alors pas si éloignée et le parallèle entre l'occupation romaine combattue par les « résistants » du petit village des irréductibles gaulois telle qu'elle est présentée dans Astérix et la récente occupation allemande est transparente. Le général de Gaulle, lui-même, s'intéresse à ce phénomène, allant jusqu'à donner, dans un accès d'espièglerie, des noms en -ix à toutes les personnes présentes lors d'un conseil des ministres), cette bande dessinée, offrant grâce aux scénarios de René Goscinny plusieurs niveaux de lecture s'adresse à tous. Les enfants se passionnent pour les péripéties et autres gags, et les adolescents et les adultes comprennent les nombreuses références émaillant les albums, voire le sous-texte plus politique. On peut ainsi lire Astérix sans honte, ce qui n'était à l'époque pas vrai pour Tintin, bande dessinée destinée avant tout aux enfants, voire aux adolescents. Il n'y a que très peu de références ou d'implicite, politique ou non, dans Tintin (du moins pour les lecteurs lambdas. Les tintinophiles acharnés trouvent encore et toujours matière à thèses dans ces albums, mais on n'est ici plus dans le cadre d'une lecture « normale », accessible à tous) Par ailleurs, si Astérix est une bande dessinée de valeureux résistants, il ne faut pas oublier le fait qu'à l'issue de la guerre, Hergé a été catalogué comme un collaborateur, ce qui a donné à son oeuvre des relents de soufre.

    C'est donc par le biais de Pilote que la bande dessinée, en France, commence à obtenir ses lettres de noblesse. En effet, son rédacteur en chef, René Goscinny, ne se contente pas de ramasser les lauriers du phénoménal succès critique et commercial qu'est Astérix. Il exhorte les auteurs à se considérer désormais comme tels, et non plus comme de simples dessinateurs marginaux d'illustrés pour la jeunesse. C'est notamment lui qui pousse les auteurs à assumer pleinement leurs oeuvres et à signer leurs planches, lui qui « impose » de nouveaux auteurs atypiques, comme Fred, dont la série Philémon laisse bon nombre de lecteurs perplexes et peine au début à trouver son public. Ca ne l'empêche pas aujourd'hui de figurer dans les listes d'oeuvres recommandées par le Ministère de l'Education Nationale pour l'école primaire. De la même manière, Goscinny, scénariste de métier au même titre que le second rédacteur en chef de Pilote, Charlier (auteur de séries d'aventures classiques, comme Buck Danny, Barbe Rouge ou Tanguy et Laverdure) place ce corps de métier sur un plan d'égalité avec les dessinateurs. Personne ne peut nier l'apport de Goscinny aux séries auxquelles il collabore, ni la personnalité de son travail. Depuis son décès en 1977, la baisse de qualité de ses oeuvres phares (Astérix et Lucky Luke) est flagrante. Albert Uderzo n'a pas su retrouver le style de Goscinny, et Astérix est aujourd'hui, au mieux, une simple série pour enfants. Les auteurs de bande dessinée, y compris les scénaristes, commencent donc à accéder au statut d'auteur, au même titre que les romanciers.

    Pilote commence cependant à connaître des tensions internes en 1968. De nombreux auteurs phares quittent la revue pour créer leurs propres publications. Ainsi Claire Brétécher et Nikita Mandryka créent l'Echo des Savanes, Jean Giraud (également connu sous le nom de Moebius) et Druillet créent Métal Hurlant, et Marcel Gotlib et Alexis fondent Fluide Glacial. En 1978 est créé le magazine A Suivre. Proposant une bande dessinée plus proche de la littérature, qualifiée de « roman graphique », il libère les auteurs du carcan traditionnel de l'album de 44 planches, en les laissant produire des récits plus longs, et publie des auteurs étrangers, comme Milo Manara, ou Hugo Pratt, père du célèbre Corto Maltese. A cette période, la bande dessinée française a acquis une solide réputation internationale, et bon nombre d'auteurs étrangers vivent le fait d'être publiés en France comme une véritable consécration de leur travail. On peut considérer que la connotation négative de la bande dessinée, « sous- littérature" pour enfants ou adolescents incapables de lire de « vrais livres » (ce qui pose au passage la question de la définition du « vrai livre ». Même au sein de la catégorie des livres sans images, considérés largement supérieurs aux « illustrés », des ségrégations existent, vis à vis des polars ou de la fantasy par exemple. Nous sommes ici dans un domaine purement subjectif, ce qui rend toute catégorisation d'un point de vue de la « qualité littéraire » difficile, voire impossible) a été à ce moment transférée de la bande dessinée européenne à la bande dessinée américaine, marquée par la culture du super-héros en collants, puérile, détachée des réalités et réalisée de manière quasiment industrielle. De fait, aux Etats Unis, le culte de l'auteur n'existe pas: les personnages appartiennent aux maisons d'éditions et non aux auteurs, ce qui fait que le même personnage peut être confié simultanément à plusieurs dessinateurs, qui peuvent être remplacés purement et simplement quand leur travail ne satisfait plus les éditeurs. Cette vision est battue en brêche par l'arrivée de nouveaux auteurs qui osent bousculer ces héros, comme par exemple le scénariste anglais Alan Moore, qui, avec son comic Watchmen, en 1987, les fait tomber de leur piédestal. Il faut également citer Maus, du new yorkais Art Spiegelman, première bande dessinée à recevoir un prix Pulitzer en 1992. Les Etats Unis sont donc manifestement capables de produire des comics de qualité, pour un public adulte qui a grandi et évolué en même temps que ses héros. L'a priori négatif lié à la bande dessinée est ainsi transferé à la bande dessinée asiatique, et plus précisément aux mangas japonais. Pour beaucoup, la bande dessinée européenne est ainsi de loin supérieure artistiquement au manga, bande dessinée destinée à la distraction des masses, à faible coût, « jetable » après usage. Au delà du stéréotype, c'est bel et bien ce qui se passe au japon: la perception de la bande dessinée n'y est pas la même qu'en occident. Le manga « papier », étroitement lié au secteur de l'animation, ce qui n'est pas le cas ailleurs (hormis au sein de l'empire Disney, où les héros sont déclinés sur grand écran et sur papier par de grands auteurs « maison », comme Carl Barks, par exemple, créateur de Picsou en 1947), est un produit de grande consommation, réalisé très rapidement par des auteurs pourvus de batteries d'assistants. Bien souvent, le manga est d'ailleurs jeté après lecture, comme un vulgaire périodique, ce qui explique le peu de soin lié à son édition. C'est un petit ouvrage en noir et blanc (la couleur coûte cher), vendu à des tarifs modiques. Le japonais n'a pas cette culture du « livre-objet », comme en occident. Cela n'empêche pas la production d'oeuvres de qualité. On peut ainsi citer l'oeuvre de Hayao Miyazaki, dessinateur de mangas et réalisateur de films d'animation mondialement connu, qui fonde le studio Ghibli, ou celle de Jiro Taniguchi, qui réalise une oeuvre à tonalités autobiographiques (Le Journal de mon père, Quartier lointain), avant de collaborer avec Moebius (Icare, 2005).

    La bande dessinée est un secteur qui explose réellement à partir des années 1980, que ce soit en terme de production comme en terme de vente, mais les habitudes des lecteurs européens changent: ils s'intéressent de moins en moins aux journaux proposant des histoires à suivre et de plus en plus aux albums. Moins patients qu'auparavant, ils préfèrent lire l'intégralité du récit immédiatement, sans attendre une semaine voire un mois. On peut également y voir un signe de valorisation de la bande dessinée, d'atténuation des complexes liés à cette forme de littérature: dans cette France qui a vu naitre les Lumières, l'objet « livre » conserve une place symbolique très importante: c'est une part du patrimoine culturel de son propriétaire, qu'il peut conserver, « exposer » dans une bibliothèque à la vue de tous, à la différence de la revue, fragile, éphémère et jetable après sa lecture. De la même manière, c'est le signe d'un vieillissement des lecteurs: l'album, plus couteux qu'une simple revue, est vraisemblablement acheté par un adulte, pour lui ou pour ses enfants, ce qui suppose que l'adulte en question considère que ses enfants peuvent lire des bandes dessinées. La frontière bande dessinée/ « vrai livre », stéréotype longtemps présent dans les familles s'estompe de plus en plus. La bande dessinée commence à être considérée comme une lecture relativement « saine », voire encouragée par des parents qui ont pu lire dans leur jeunesse les classiques que sont par exemple Tintin, Astérix ou Lucky Luke, et qui les mettent par la suite sans arrières pensées entre les mains de leurs propres enfants. La bande dessinée figure aujourd'hui parmi les meilleures ventes de l'édition française: à titre d'exemple, on peut donner les chiffres suivants pour l'année 2004: en tête, le roman de Dan Brown, Le Da Vinci Code (857000 exemplaires), suivi de près par Nadia se marie, la bande dessinée de Zep (835200 exemplaires), suivi par Sept Jours pour une éternité, l'oeuvre de Marc Lévy (473500 exemplaires), puis La Belle Province, le Lucky Luke commis par Laurent Gerra et Achdé (412400 exemplaires)1. Deux bandes dessinées sont ainsi présentes dans le peloton de tête, au côtés des best sellers de l'édition que sont Dan Brown ou Marc Lévy. Ce n'est pas anodin: la bande dessinée n'est aujourd'hui plus un genre marginal, le parent pauvre de ce que ses détracteurs qualifient de « vraie » littérature. Bien moins stigmatisée qu'auparavant, rendue attractive par l'omniprésence des dessins et surtout rapide et facile à lire (dans un monde moderne marqué par la culture du « zapping » et des séries TV, le fait de pouvoir venir à bout d'une oeuvre littéraire quasiment immédiatement est un atout non négligeable.), la bande dessinée est désormais un poids lourd de l'édition: Gilles Ratier, secrétaire de l'Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée, fait ainsi état de 2701 nouveautés en bandes dessinées pour l'année 2005, par exemple, dont 1142 mangas! La France constitue le deuxième marché du manga, après le Japon, et on assiste paradoxalement à une surabondance de nouveautés, même si les laboratoires de nouveaux talents que pouvaient être des magazines comme Pilote n'existent plus. Les éditeurs sont plus audacieux, n'hésitant pas à donner leur chance à de nouveaux auteurs, mais toute médaille a son revers: les énormes ventes liées au marché de la bande dessinée concernent essentiellement les « poids lourds » du secteur que sont par exemple Titeuf, Largo Winch, Astérix ou XIII. Noyées dans la masse, les nouveautés souffrent d'un manque flagrant de visibilité et bien souvent, la première chance accordée à un jeune auteur s'avère être aussi sa dernière chance: faute de ventes suffisantes, bon nombre de séries sont abandonnées en cours de route. La production d'un album coûte cher.

    La bande dessinée, secteur à la mode, extrêmement rentable pour les éditeurs, profite d'une médiatisation relativement importante, notamment à travers le festival d'Angoulême, grand-messe annuelle d'un secteur en pleine extension, qui se déroule tous les ans en janvier depuis 1974. Ce grand rassemblement, marqué par l'omniprésence envahissante de sponsors tels que la FNAC ou la sncf est de plus en plus décrié par les auteurs, comme Lewis Trondheim, Grand Prix 2006 du festival et donc président de l'édition 20072.

1Source: site de France 3. L'actu du livre 2005.

Publicité
Publicité
Les Genoux de la Castafiore
  • Quels sont les mécanismes, les acteurs majeurs et les albums fondateurs qui ont fait passer la BD d'un rang de sous-littérature à un genre littéraire à part entière, étudié des bancs de l'école primaire aux amphithéâtres de l'université?
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité