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Les Genoux de la Castafiore
19 avril 2012

"Quartier Lointain", Jiro Taniguchi.

   Je ne suis pas un fervent lecteur de mangas: rebuté, comme beaucoup, par le sens de lecture inhabituel (de droite à gauche), par le format, et par l'image « Club Dorothée », je ne m'y suis intéressé que tardivement. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de faire une rapide présentation de Quartier Lointain, de Jiro Taniguchi, considéré comme le plus « européen » des auteurs de mangas, et de ce fait « ambassadeur » de ce média typiquement japonais auprès des néophytes. C'est ainsi l'un des rares mangakas dont les oeuvres, du moins certaines d'entre elles, sont publiées par Casterman dans un sens de lecture à l'occidentale, de gauche à droite.

   Hiroshi Hakahara, 48 ans, marié et père de famille, est un cadre japonais ordinaire: surmené, dévoué à son travail, il mène une vie harassante, dénuée de sens et de ce fait légèrement déprimante, ce qu'il compense en partie grâce à l'alcool. Un soir, épuisé, il se trompe de train et se retrouve dans la ville de son enfance. Il en profite pour se rendre sur la tombe de sa mère, où il est pris d'un soudain malaise. Il se réveille en pleine forme, et pour cause: il se retrouve dans la peau de l'adolescent de 14 ans qu'il a été, dans une ville rajeunie de 34 ans, tout en conservant sa conscience d'homme mûr. D'abord désorienté par ce phénomène, il ne tarde pas à saisir la chance unique qui s'offre à lui: il entreprend de revivre son enfance, de l'améliorer grâce à son expérience. Très vite, il commence à briller à l'école, se met à pratiquer l'athlétisme, et séduit la plus belle fille du collège. Dans un registre plus grave, il redécouvre ses parents et tente de découvrir les raisons qui ont poussé son père à disparaître en 1963, et d'empêcher cet évènement, en vain.

    Nous sommes ici loin du cliché du manga « traditionnel »,simpliste, destiné aux enfants, et émaillé d'onomatopées et de violence. Au Japon, encore plus que dans les autres pays, la bande dessinée est un secteur extrêmement segmenté, avec des produits calibrés pour chaque public: pour les enfants, les adolescents, les adolescentes...... ici nous sommes clairement face à un manga destiné à un public adulte, et dont le thème tourne autour d'un questionnement crucial, encore plus au Japon où la quête effrénée de productivité suscite bon nombre de dépressions et de crises existentielles: ai-je réussi ma vie? Si j'avais l'opportunité de tout recommencer, que ferais-je différemment? Le héros, Hiroshi, se pose manifestement ces questions, et ne tarde pas à occulter sa « vraie » vie et l'étrangeté de sa situation pour profiter pleinement de cette nouvelle jeunesse, de cette inespérée deuxième chance que le destin lui donne. C'est l'opportunité pour lui de revoir le jugement porté sur ses parents et surtout sur le départ de son père traumatisme jamais résolu, avec des yeux neufs d'homme adulte. En s'interrogeant sur leur passé, en observant leur comportement, il finit par comprendre le besoin d'ailleurs, le désir de tout recommencer de son père. Après tout, lui-même n'est il pas en train de déserter égoïstement sa propre famille et ses responsabilités pour revivre son enfance et modifier le cours de son existence? C'est cette brutale révélation qui lui permet, apaisé, de regagner sa propre époque. Magnifique évocation du temps qui passe, de l'impossibilité de changer le passé et de l'obligation de vivre avec des remords et des regrets, Quartier Lointain s'adresse à tous. En effet, qui ne rêverait pas de revenir en arrière et de tout recommencer? Cette oeuvre, comme bon nombre d'ouvrages du même auteur, constitue une très bonne introduction à la bande dessinée japonaise et redore le blason de ce média souvent décrié pour sa supposée faible qualité, comme a pu l'être la bande dessinée européenne il n'y a pas si longtemps.

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Les Genoux de la Castafiore
  • Quels sont les mécanismes, les acteurs majeurs et les albums fondateurs qui ont fait passer la BD d'un rang de sous-littérature à un genre littéraire à part entière, étudié des bancs de l'école primaire aux amphithéâtres de l'université?
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